L’intégration des enjeux environnementaux dans la station de demain

Grenoble, hôte des Jeux d’hiver de 1968, est également et surtout une ville d’innovation intégrant un véritable pôle scientifique et technique. L’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture ou IRSTEA, témoigne de cette dynamique. Une recherche appliquée qui viendrait jusqu’à épauler les opérateurs de domaines skiables ? Quelles seraient les actions concrètes mises en place ? Existent-ils d’autres exemples de recherche appliquée aux domaines skiables hors des frontières hexagonales ?

Pour répondre aux interrogations formulées par Sébastien Mittelberger, Montagne Expansion, Thomas Spiegelberger, directeur de recherche de l’IRSTEA, est venu présenter les activités de l’institut grenoblois, accompagné de Pascal de Thiersant, président du directoire de la S3V, de l’italien Mauro Bassignana de l’Institut agricole régional d’Aoste, de Kevin Smith, directeur des opérations montagne de la station canadienne de Grouse Mountain Resort, et de Jean-Pierre Rougeaux, maire de Valloire et président de la Commission Cimes Durables de l’ANMSM.

Découvrez les intervenants

Mountain Planet réunit les experts de la montagne à l’espace Agora.

Thomas SPIEGELBERGER

Directeur de recherche IRSTEA, France

Thomas Spiegelberger is research director at Irstea (National Research Institute of Science and Technology for Environment and Agriculture) working on the impact of climate and land-use change on plant-soil interactions and its consequence on the resilience of mountain grasslands. He is deputy director of LESSEM (Laboratory of Ecsoystems and Societies in Mountains) at Irstea Grenoble. LESSEM, a pluri-disciplinary laboratory working in Social and Human Sciences, Ecology and Forestry, aims at responding to the necessity to better understand the relationship between Man and Nature. Therefore, working in research on ecosystems on one hand, and on human dynamics on the other hand, our objective is to better understand and to analyse the changes and evolutions at interfaces between Man and Nature. Production of scientific knowledge, but also contributing to supporting public decision making, are our principal objectives.
Thomas is in particular interested in plant-soil interactions. For this he uses observational and experimental approaches and collaborates with modellers to understand the changes from the Middle Age to present day in order to anticipate future changes on grasslands and wooded pastures under environmental stress and the consequences on their stability.
Since 20010 Thomas Spiegelberger is a coordinator of the Zone Atelier Alpes labelled by the CNRS, National Centre for Scientific Research, and also labelled long-term socio-economy and ecology research platform (LTSER “ZA Alpes”).

Jean-Pierre ROUGEAUX

Maire de Valloire et Président de la Commission Cimes Durables de l’ANMSM

Jean Pierre ROUGEAUX est le Maire de Valloire et le Président de la Commission Cimes Durables au sein de l’Association Nationale des Maires des Stations de Montagne (ANMSM).
Depuis 2014, Jean Pierre ROUGEAUX définit l’orientation des travaux de la Commission, creuset de la réflexion et de l’action de l’ANMSM. La Commission associe à ses travaux des maires, des référents locaux, des techniciens du développement durable, qui œuvrent à la conception et à la réalisation de projets innovants. Ces projets innovants sont mis en lumière et récompensés lors des Trophées Cimes Durables, dont la seconde édition se déroulera le 19 avril à 11 heures sur le stand de l’ANMSM dans le cadre du salon Mountain Planet.
Par ailleurs, Jean Pierre ROUGEAUX est le Président de l’Association Nationale pour l’Étude de la Neige et des Avalanches (ANENA).
Mauro Bassignana

Mauro BASSIGNANA

Institut Agricole Régional

Mauro Bassignana est le Directeur de l’expérimentation de l'Institut Agricole Régional à Aoste.

Ingénieur agronome, il a reçu son doctorat en « Cultures fourragères et pastoralisme montagnard » à l'Université de Florence.

Ses activités comprennent l’organisation des activités de production et de recherche appliquée dans les principaux domaines de l’agriculture de montagne : élevage et valorisation des produits d’origine animale, cultures fourragères, viticulture, arboriculture et céréales de montagne, avec un accent particulier sur les relations entre les pratiques agricoles et l'environnement.

Kevin SMITH

Responsable des opérations montagne à Grouse Mountain

Kevin Smith est responsable des opérations montagne à Grouse Mountain.

Kevin a travaillé pour Grouse Mountain ces dix neuf dernières années. Avant son contrat à Grouse Mountain, il a également passé sept ans à la montagne sur la côte est du Canada.

Bien que les actuels centres d’intérêt et de passion de Kevin se trouvent dans les opérations extérieures et la logistique, une grande partie de sa carrière dans l’industrie a tourné autour du service à la clientèle, des ventes ainsi que de la gestion de projet.

Qu’il pratique le snowboard, le camping, la pêche, le canoë ou la randonnée en chiens de traineaux, les moments loin du travail de Kevin le ramènent généralement dans les montagnes, d’une manière ou d’une autre.

Pascal De Thiersant

Pascal DE THIERSANT

Président du Directoire Société des Trois Vallées, France

Pascal de Thiersant 55 ans, diplômé de l’Ecole Centrale de Lille et CESMA MBA de l’EM Lyon.

Après une première expérience en marketing produit dans le Groupe LEGRAND, il a dirigé pendant 6 ans une entreprise familiale de charpente bois spécialisée dans les travaux de montagne.

Il a ensuite pris la direction commerciale puis la direction générale des activités d’INEO (l’électricien d’Engie) sur le sillon alpin. Il a rejoint Cegelec en 2005 pour diriges ses activités sur le Dauphiné, où il a notamment développé les contrats de maintenance multi techniques.

Lors du rachat de Cegelec par Vinci, il lui est proposé de monter la branche regroupant les activités de services de VINCI sur la région Centre-Est, VINCI Facilities.

Grand amateur d’alpinisme et de ski, il rejoint la S3V en 2014, alliant ainsi son expérience d’entrepreneur et sa passion pour la montagne et les milieux naturels.

L’intégration des enjeux environnementaux dans la station de demain

Si Grenoble est une véritable porte d’entrée vers la montagne : les Alpes, Grenoble est également une ville universitaire, une ville de recherche et d’innovation. Pour preuve, Thomas Spiegelberger est venu présenter quelques actions de recherche concrètes menées par l’IRSTEA sur la durabilité économique et écologique des stations de ski. « Les approches qu’on souhaite mettre en avant sont à la fois des approches disciplinaires, en écologie, en économie, en sociologie mais aussi des approches interdisciplinaires pour notamment atteindre l’objectif de la durabilité des actions. On essaie de se concentrer sur les stations de montagne
». Par exemple, l’IRSTEA a développé, en collaboration avec le centre des études de la neige de Météo France, un indice de viabilité des stations de ski et mène des recherches et des actions tournées vers l’écologie et les recherches en écologie. « Au sein de notre unité de recherche , on travaille par exemple sur des approches innovantes de classification via la télédétection mais aussi sur la réhabilitation et la restauration des zones humides via des approches en ingénierie écologique qui peuvent contribuer à la revalorisation de tous ces espaces » explique Thomas Spiegelberger. En outre, l’institut grenoblois mène un vaste programme de recherche autour de la revégétalisation des pistes de ski depuis les années 1980. « On sait qu’il y a à peu près 600 hectares de pistes qui sont remodelés chaque année dans les Alpes françaises, uniquement dans les Alpes françaises, et donc 600 hectares qui nécessitent un traitement pour stopper l’érosion, pour stabiliser les terrains et permettre le maintien de la neige ». Une des solutions trouvées consiste à semer sur les zones aménagées, des semences d’origine locale, mieux adaptées à la revégétalisation des terrains de montagne. « Ces semences proviennent d’un rayon d’un kilomètre de là où on essaie de restaurer le terrain » précise Thomas Spiegelberger.

De la théorie à la pratique

La S3V a d’ailleurs collaboré étroitement avec l’IRSTEA pour la revégétalisation des pistes de ski du domaine de Courchevel.
La S3V est passée de la théorie à la pratique en collaborant étroitement avec l’IRSTEA sur la transplantation des semences locales pour le réengazonnement de ses pistes. Pourquoi une telle démarche ? « Quand on travaille en montagne, c’est qu’on aime la montagne, et quand on aime la montagne, on est sensible aux paysages. Il nous a semblé à la S3V qu’on pouvait améliorer nos paysages, notre impact sur l’environnement, donc on a cherché des méthodes pour le faire, et j’ai rencontré Thomas Spiegelberger » confie Pascal de Thiersant avant d’ajouter que « transplanter des semences locales permet de redonner aux paysages leurs couleurs d’origine, parce que souvent les semences qui viennent de la plaine font des taches vertes qui ne sont pas très esthétiques ». La mise en place d’une telle démarche est également créatrice d’emplois ; elle crée une véritable filière locale, et limite l’impact environnemental puisque les semences sont locales et n’ont par exemple pas besoin d’être acheminées depuis la plaine. Au-delà de cette expérimentation, la S3V avance pas à pas pour développer une activité économique qui soit compatible avec un environnement de qualité comme en témoigne Pascal de Thiersant, « principalement sur Courchevel, on mène une réflexion pour diminuer le nombre de remontées afin de diminuer l’impact visuel et donc la pollution ».

Impact environnemental, l’exemple de la S3V

La société des 3 Vallées est depuis longtemps investie dans la diminution de son empreinte écologique. Depuis plus de dix ans, elle achète de l’électricité verte, mène des actions sur les bâtiments, notamment en matière d’isolation, procède au remplacement de chaudières fioul par des chaudières à bois pour ne citer que ces exemples. « Et, plus récemment, on a accéléré les actions et on a créé un observatoire de l’environnement qui chaque année évalue l’impact des travaux ou suit l’impact sur la faune par exemple » confie Pascal de Thiersant avant d’ajouter : « nous avons choisi deux espèces emblématiques qui sont le tétras-lyre et le lièvre variable, et nous suivons les populations de ces espèces. À travers cet observatoire, nous mettons en place un certain nombre de dispositifs, par exemple des zones de défense pour le tétras-lyre pour qu’il soit paisible l’hiver et nous mesurons à la fois l’impact de ces actions et l’impact général de notre activité économique sur la faune ». Ce projet réunit la FRAPNA, le Parc de la Vanoise, les chasseurs, les services de l’État pour faire cohabiter à la fois une vision économique, essentielle au maintien des populations de montagne, et le respect de l’environnement. La S3V pense également ses investissements en ayant toujours comme impératif la réduction de son empreinte sur l’environnement, que ce soit en matière de remontées mécaniques, de neige de culture, ou pour tout autre poste.

Qu’en est-il à l’étranger ?

À l’image de l’IRSTEA de Grenoble, l’Institut agricole d’Aoste en Italie est un institut de recherche appliquée qui se trouve être un pivot entre différents mondes, le monde agricole bien sûr mais également celui de la gestion du territoire et des stations de ski. Pour accompagner les domaines skiables, l’Institut agricole d’Aoste a également travaillé sur les techniques de réengazonnement des pistes, comme l’a confié Mauro Bassignana. « En ce qui concerne les pistes de ski et les travaux de réaménagement, on y travaille. Au début c’était avec des essais de semences du commerce. On a vu qu’on avait besoin d’un matériel génétique local, aspect fondamental car au-delà d’une certaine altitude, on n’a pas de réussite satisfaisante si on parle des semences commerciales. Il n’y a pas que les zones thermiques qui permettent aux espèces de s’installer, de se reproduire. Et donc on est parti sur une autre piste, c’est-à-dire la réutilisation de semences locales en récoltant les graines des alpages ». Pour ce faire, l’Institut agricole d’Aoste a développé deux méthodes : soit récolter l’herbe avec les graines « à la main », soit faire appel à des machines qui brossent les pelouses ou les prairies. Séduit par cette deuxième technique, l’Institut agricole d’Aoste a développé, avec l’IRSTEA de Grenoble, un prototype d’engin répondant à leurs besoins. Au Canada, l’intégration des enjeux environnementaux passe, pour la station de Grouse Mountain, par le développement des énergies vertes comme l’a confié Kevin Smith. « Nous avons une éolienne au sommet de notre montagne qui peut fournir jusqu’à 25 % de notre consommation énergétique lorsqu’elle fonctionne à plein régime. Mais ce n’est pas seulement un avantage pour nous, c’est presque devenu une icône pour Vancouver et pour nos programmes éducatifs ». En effet, la station canadienne mise également sur l’accueil de groupes scolaires pour les sensibiliser à l’environnement comme en témoigne le directeur des opérations montagne de la station canadienne : « nous accueillons près de 20 000 visites scolaires par an, sur une base éducative ». La station a également mis en place un programme de tri, de recyclage et de compostage. « Tous nos déchets sont triés à la main, par notre personnel, à la fin de chaque journée, pour qu’on puisse s’en occuper correctement » précise Kevin Smith. Grouse Mountain Resort a également développé un programme de co-voiturage visant à diminuer le nombre de voitures au sein de la station, et son empreinte environnementale.

Évolutions climatiques et tourisme durable, quel rôle pour l’ANMSM ?

L’Association nationale des maires de stations de montagne, ou ANMSM, est très active sur la thématique de l’environnement comme en témoigne la commission Cimes Durables présidée par Jean-Pierre Rougeaux. L’ANMSM a par exemple élaboré une Charte nationale en faveur du développement durable dans les stations de montagne, qui a été entérinée et signée par pratiquement toutes les stations françaises. Les maires des stations de montagne sont les témoins de l’évolution climatique, des changements qui peuvent s’opérer. Ils sont en première ligne et comptent bien agir en faveur de l’environnement, de leur environnement. Les trophées des Cimes Durables qui mettent en lumière les différentes initiatives et engagements en matière de développement durable pris par les stations en sont un exemple. Plus en détail, ils permettent de référencer et de valoriser, tous les deux ans, les actions phares des stations de montagne, dans différents domaines du développement durable comme la mobilité douce, la smart station, l’économie circulaire, la gestion des déchets, la rénovation thermique, la transition numérique et durable ou encore l’éclairage éco-responsable.

Quid de la neige de culture ?

Pourquoi est-ce qu’on fait de la neige de culture ? « Parce qu’on en a besoin » répond Jean-Pierre Rougeaux avant d’ajouter qu’elle est nécessaire car elle permet de sécuriser les 120 000 emplois inhérents aux stations tous les ans. Si cette neige est également nécessaire pour lutter contre l’aléa météorologique, certaines voix s’élèvent sur les prélèvements d’eau effectués pour la concevoir. Quelle réponse apporter à ces craintes ? « Les prélèvements d’eau pour la neige de culture sont d’abord autorisés, et ensuite contrôlés. Ils sont généralement indépendants du réseau d’eau potable. Il faut savoir que ce que l’on produit comme neige de culture par an, en France, représente une quantité 40 fois moindre que les fuites présentes sur les réseaux d’eau français. Le corollaire, je vais me permettre de le faire, c’est qu’avec le volume annuel des fuites du réseau français, il est possible de concevoir l’équivalent de 40 années de fabrication de neige de culture », précise Jean-Pierre Rougeaux. D’autant plus que la neige de culture n’est finalement que de l’eau, de l’air et du froid. Il n’y a rien d’autre. L’eau est prélevée au mois de novembre et restituée au mois d’avril : 80 % par infiltration et 20 % par évaporation. D’autant plus que tout est fait pour minimiser la production, comme l’a souligné le maire de Valloire, puisqu’un important travail est mené dans le domaine du damage, du remodelage des pistes, et de l’ingénierie même des réseaux de neige de culture qui permettent aujourd’hui de produire plus, dans un délai plus court, tout en consommant moins d’énergie.

La performance environnementale est-elle aujourd’hui un critère de choix ?

Pour Pascal de Thiersant, la réponse est positive « aujourd’hui, la conscience environnementale de nos clients en station a fortement évolué. Il y a cinq ans, c’était une préoccupation pour 30 % d’entre eux de savoir si la station dans sa globalité était attentive à l’environnement. Aujourd’hui, 40 %. Cela devient l’une des premières préoccupations des clients qui viennent en station, bien avant de savoir s’il y a beaucoup d’activités. Ce n’est pas encore un critère de choix, mais c’est déjà un critère d’intérêt ». Les propos du président du directoire de la S3V trouvent écho auprès de Jean-Pierre Rougeaux pour qui l’attrait du développement durable pour les stations françaises deviendra un critère de choix. « Je pense que ça va le devenir. Ça va le devenir au même titre qu’aujourd’hui, la plupart d’entre vous, êtes peut-être sensibles à ne pas acheter certaines chaussures, certains vêtements qu’on dit fabriqués par des enfants ou avec des techniques écologiquement irresponsables. C’est ce qu’on appelle la consommation responsable, c’est quelque chose qui commence à être dans les esprits ». Les stations devront-elles devenir des éco-stations pour se distinguer dans le futur ? Réponse dans quelques années… ■