L’économie mondiale des stations de ski.

Le marché du ski n’est plus seulement européen et nord-américain. Chaque relief, chaque massif, chaque montagne s’est progressivement aménagé ou est en passe de l’être dès que les conditions pour développer une économie liée aux sports d’hiver sont réunies. Dès lors, on parle de marché mondial, un marché dont Laurent Vanat, Laurent Vanat Consulting, s’est fait une spécialité.

En avant-première, il a présenté à l’occasion de Mountain Planet et au sein de l’Agora, les résultats de son étude annuelle. Pour commenter ces chiffres, Pierre Lestas le président de Domaines Skiables de France, Vladislav Subbotin le directeur de la Russian Alpine Ski Industry et Sandro Lazzari, le président de Piz de Sella et de Dolomiti Superski, ont répondu aux questions de Sébastien Mittelberger de Montagne Expansion.

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Mountain Planet réunit les experts de la montagne à l’espace Agora.

Pierre LESTAS

Président Domaines Skiables de France

Président du Syndicat National des Téléphériques de France puis de Domaines Skiables de France depuis le 9 octobre 2009, Pierre LESTAS est également, depuis 1995, Directeur Général de la Société d'Economie Mixte qui exploite les remontées mécaniques de La Clusaz (SATELC - 74).

Il a été Directeur des stations de ski du Val d’Allos (Alpes-de-Haute-Provence) de 1992 à 1995 après avoir dirigé le centre de formation de secours en montagne des CRS à Chamonix, de 1989 à 1992 et celui de Briançon avant cela.

Diplômé de l’Ecole nationale supérieure de la police à Saint-Cyr au Mont-Dore en qualité d’élève officier de paix, Pierre LESTAS est également titulaire d’un diplôme supérieur de recherche en géographie alpine et auteur de deux ouvrages d’histoire alpine.

Il a reçu les insignes de Chevalier de la Légion d’Honneur, le 12 juillet 2011.

Sandro LAZZARI

Président Piz de Sella et de Dolomiti Superski

Né à Milan le 01/12/1940

Lauréat en Sciences Politiques à l’université catholique de Milan

En 1963 il commence à s’occuper de la construction et de l’exploitation de remontées mécaniques dans les Dolomites en Val Gardena avec des amis partner, dans la société Piz de Sella, activité qu’il a continuellement développée.

En 1972, avec la societé Funivia Ciampac e Contrin, il réalise la nouvelle station de Ciampac à Canazei, en province de Trento, qu’il développe à plusieurs reprises aussi en s’étendant à la zone de Padon Marmolada, jusque à 2010.

A la fin des années 80, il renouvelle et relance la station de Plose à Bressanone.

En 1974 il participe à la constitution de Dolomiti Superski dans lequel il s’est toujours occupé des questions techniques et d’organisation et dont, depuis 2008, il est le président.

De 1991 jusque à avril 2014 est président de A.N.E.F

Depuis 1991 membre du conseil directeur de l’ O.I.T.A.F.

De 1997 à 2006 est président de la F.I.A.N.E.T.

Maintenant il continue son activité dans l’exploitation en Val Gardena comme président de la société Piz de Sella et de Dolomiti Superski.

M Laurent Vanat

Laurent VANAT

Consultant

C'est un généraliste qui sait aussi se transformer rapidement en spécialiste. Au bénéfice d’un master ès sciences commerciales et industrielles de l’Université de Genève, il possède plus de 30 ans de parcours professionnel, tant à titre de consultant qu’à titre de collaborateur impliqué dans des positions de management en entreprise. Il a d’une part l’expérience de postes dans la vente, la direction financière et la direction générale. D’autre part, il a conseillé des entreprises et organisations de tous horizons et connaît de nombreuses branches économiques.

Actif notamment dans le tourisme, il suit de près depuis de nombreuses années le monde des stations de montagne. Dans sa recherche d’informations sur les domaines skiables, il a rapidement été sensibilisé à la problématique des journées-skieurs. Constatant la difficulté à consolider cette information pour le marché suisse, il a trouvé une façon d’apporter sa contribution à la branche en lançant une collecte systématique de la fréquentation et en publiant un bilan de saison annuel depuis l’hiver 2004/05.

Par ailleurs , il compile depuis 2009 les données des principales destinations de sports d’hiver au niveau international afin de produire un aperçu de la situation mondiale. Son «International Report on Snow & Mountain Tourism» constitue à présent une référence reconnue dans le monde entier.

Vladislav SUBBOTIN

Directeur Alpine Ski Industry Union Russie

Il est diplômé en Finance de l'établissement d'enseignement supérieur de l'État fédéral, relevant du gouvernement de la Fédération de Russie.

Depuis 2011, il a développé des projets d’investissement dans le district fédéral du Caucase du Nord de la Fédération de Russie.

Depuis 2013, il a travaillé pour le JSC « groupement des stations du Nord Caucase » et a participé au développement d’un cluster du Tourisme dans le district fédéral du Caucase du Nord.

Plus précisément les complexes touristiques et récréatifs toutes saisons tels que :

1/ Arkhyz (la République Karachay-Tcherkesse),

2/ Elbrus (la République Kabardino-Blakarie),

3/ Veduchi (la République Tchétchène),

4/ Matlas (la République du Daghestan).

Actuellement, il occupe le poste de Directeur du département d’expertise et d’évaluation analytique.

En 2016, il fut élu directeur exécutif d’une organisation à but non lucratif « l’Union de l’Industrie du Ski Alpin » (Union) qui regroupe actuellement 25 organisations membres russes.

En 2017, sous la direction de Vladislav SUBBOTIN, des représentants de l’Union ont été à l’initiative de la rédaction d’une lettre de mission par le Premier Ministre Russe D. MEDVEDEV pour évaluer le développement de l’industrie du ski dans la Fédération Russe jusqu’en 2035. Le concept en est totalement nouveau qui vise à accompagner le développement complexe de ce secteur.

Depuis, le projet de concept a été développé puis approuvé par les organes exécutifs fédéraux de la Fédération Russe.

Tour d’horizon de l’économie mondiale des stations de ski

Très attendu, le rapport annuel établi par Laurent Vanat sur le tourisme de neige et de montagne permet, à n’en pas douter, d’établir un panorama mondial du ski et d’avoir une meilleure appréciation de l’économie des sports d’hiver dans le monde. Ce dernier a comptabilisé 67 pays où l’on trouve des stations de ski organisées, c’est-à-dire disposant d’au moins une zone équipée d’un tapis roulant et d’une piste. Près de 34 % des pays offrent donc des stations de ski, et il est possible de dénombrer quelque 6 000 destinations dans le monde. En comparant les chiffres de cette année avec ceux des années précédentes, on constate une croissance de l’activité sur la zone Asie-Pacifique, plus particulièrement de la Chine, ainsi que de l’Europe de l’Est et de l’Asie centrale. Concernant le nombre de journées-skieurs, on observe une légère progression qui correspond, selon Laurent Vanat, à un effet compensé de la baisse de certains marchés matures, puisqu’on constate que le nombre de skieurs a plutôt tendance à baisser sur les marchés occidentaux d’Europe et d’Amérique du Nord, alors que l’on observe une croissance du marché chinois. Comment expliquer la baisse des journées-skieurs des marchés matures ? Pour Pierre Lestas, il est nécessaire de tenir compte de la situation météorologique. « Ce que je veux dire par là, c’est que depuis trois ans, et cela n’a échappé à personne, en France, en Europe et dans de nombreux pays, nous sommes confrontés à un manque de neige notamment durant les périodes de Noël et du jour de l’an : la fréquentation a baissé de façon très importante. Il faut évidemment prendre en compte ceci, parce que ces baisses ne sont pas de nature structurelle, elles sont de nature purement conjoncturelle ». De son côté, Sandro Lazzari pense que la baisse du nombre de journées-skieurs s’explique également par d’autres facteurs : « souvenez-vous de la période du boom du ski durant laquelle nous avons connu une croissance incroyable. Le ski était alors la principale activité. Maintenant, l’outdoor et les activités connexes au ski ont bien progressé et nous devons faire face à une concurrence bien plus forte : ce ne sont plus seulement les destinations exotiques qui nous font de la concurrence, ce sont les autres activités et sports que les gens pratiquent chez eux, en ville ».

Existe-t-il un effet lié aux Jeux olympiques ?

En 2014, la Russie a organisé les Jeux olympiques et paralympiques de Sochi. Si ces olympiades ont beaucoup fait parler, notamment en raison de leur coût, ont-elles permis de donner un coup de boost aux sports d’hiver et au ski en Russie ? Le coup de projecteur médiatique a-t-il eu un effet sur la fréquentation tant nationale qu’internationale ? Pour Vladislav Subbotin, les Jeux de Sochi ont indéniablement eu un impact positif sur l’économie des sports d’hiver russe puisque ce dernier a constaté une augmentation très forte de l’ordre de 6 à 8 millions de journées-skieurs depuis la fin des Jeux. « L’image et la perception de Sochi ont également changé. Il y a toujours eu, même à l’époque de l’URSS, l’idée que Sochi était une destination balnéaire. Aujourd’hui, dans la tête des Russes, Sochi ce n’est pas seulement la mer et le soleil, c’est aussi la montagne, les sports d’hiver et le ski ».

Existent-ils d’autres leviers pour progresser ?

L’organisation des olympiades d’hiver coûte bien évidemment cher, n’existent-ils pas d’autres leviers de croissance pour l’économie des sports d’hiver ? Évidemment, on pense aux investissements : remontées mécaniques, neige de culture, ou encore à un travail à mener sur l’accueil et l’hébergement ou sur l’accroissement de la clientèle internationale comme l’a souligné Sébastien Mittelberger. Qu’en pense Pierre Lestas ? « J’ai envie de tout résumer à travers le mot innovation. Je crois qu’on tient là un véritable levier de croissance depuis une dizaine d’années. Alors évidemment, c’est l’effet de la révolution numérique et on voit que les choses s’accélèrent. Ne l’oublions pas : aujourd’hui, on est face à des enjeux considérables. Et le premier enjeu, à mes yeux, c’est le client ». Pourquoi le client ? Parce que désormais, avec un simple clic, il peut décider de venir ou ne pas venir dans telle ou telle station ou de privilégier d’autres activités. On est face à une véritable révolution qu’il nous faut désormais prendre en compte. 70 % des clients réservent leur séjour par internet. Il faut dès lors porter une attention toute particulière à la chaîne de valeurs, notamment en France. Pourquoi en France ? « Parce qu’on le sait bien, nos modèles sont fragmentés, contrairement aux États-Unis où les modèles sont hyper intégrés » a tenu à rappeler Pierre Lestas avant d’ajouter que « cela doit nous conduire, en France, à mettre en œuvre une vraie logique d’entreprise privée qui associe les différents acteurs publics et privés. J’y vois un levier de croissance indirecte ». L’autre point à prendre en considération ne serait-il pas la qualité de l’offre, dont va dépendre notre e-réputation ? On constate effectivement aujourd’hui l’importance des réseaux sociaux. Cela doit donc conduire les différents acteurs des destinations à certes investir, mais également à soigner l’accueil, à être attentif à la question des datas, à celle de la gestion de la relation client, ainsi qu’à la problématique de l’immobilier et des lits chauds.

L’avenir de l’économie des stations est-il conditionné au renouvellement générationnel ?

Il est vrai que les marchés européens sont considérés comme mûrs. Dès lors, il leur est nécessaire d’attirer plus de skieurs étrangers ou de former de nouvelles générations de skieurs. Pour Sandro Lazzari, « les jeunes, il faut les attirer et les contenter avec des nouveautés. Il faut toujours présenter quelques nouveautés. Il est nécessaire de continuer d’offrir quelque chose de plus. C’est le meilleur système pour fidéliser la clientèle. Mais il y a une chose très importante, Pierre Lestas a commencé à en parler, c’est la filière, c’est-à-dire toutes les activités complémentaires que propose une station de ski. Il faut être attentif à l’ensemble de l’offre touristique : l’accueil, l’hôtellerie, les restaurants, la vie du village, les remontées mécaniques. Une catégorie tire l’autre, il faut être vigilant ». En France, 10 millions de personnes viennent en station. Parmi ces 10 millions, il y a 2 millions de contemplatifs donc 8 millions de skieurs parmi lesquels 2,5 millions d’étrangers. Il nous reste 5,5 millions de

Français qui viennent réellement faire du ski en France, chaque hiver. « Vous voyez, le taux de fréquentation des Français qui savent skier est finalement assez faible, il est de l’ordre de 70 % mais il pourrait être amélioré.

On a une marge de progression » a souligné Pierre Lestas. Pour autant, le président de Domaines Skiables de France n’est pas forcément d’accord sur le fait que le marché français doit être qualifié de mature : « en 1990 on nous disait déjà que le marché était mature, or depuis 1990 la fréquentation a augmenté de façon sensible. Donc on peut imaginer qu’il augmentera encore mais dans des proportions moindres. Je rappelle tout de même que dans les années 2005-2012, la fréquentation continuait d’augmenter de 1 à 2 % malgré la crise de 2008. Ce n’est quand même pas rien, ça mérite d’être rappelé si l’on veut rester objectif. La question du renouvellement de la
clientèle se pose également. Évidemment il y a un enjeu, il y a un enjeu puisque la population vieillit. La population active en Europe qui est de 210-220 millions va passer à 180 millions donc on voit bien poindre une difficulté. Il faut s’atteler au renouvellement de la clientèle. Et là, je dois dire qu’en France, on n’est pas bon. On n’a pas été bon dans les années 2000 quand nous avions des classes de neige qui fonctionnaient de façon merveilleuse. En Haute-Savoie, il y avait 500 centres d’hébergement, on est passé à 350, c’est désespérant ». Que s’est-il passé ? Des réglementations répressives ont été mises en place dans le domaine de l’hébergement et des activités qui ont fait que les professeurs d’école ne sont aujourd’hui plus enclins à proposer ces classes de neige. « Il faut régler ce problème, il faut sortir des déclarations d’intention et mettre en place un véritable plan d’actions. On en est malheureusement encore assez loin. Il y a un véritable enjeu, il faut renouveler notre clientèle sinon effectivement on sera confronté à une baisse de fréquentation dans nos stations de ski » a tenu ajouter Pierre Lestas en guise de conclusion. La France, qui mène déjà des actions dans ce sens, ne devrait-elle pas généraliser l’action mise en place en Russie et présentée par Vladislav Subbotin ? « En Russie, nous portons une grande attention tout d’abord aux enfants. Il existe par exemple des forfaits gratuits pour les enfants de moins de 5 ans. Nous savons que c’est un bon tremplin, car si le ski lui a plu, c’est sûr que dans le futur ses parents le feront revenir dans nos montagnes, et cela va créer de nouveaux skieurs ». ■